Natures mortes, Mickael Szanto, 2008
Natures mortes
mémoire de la vie, miroir de la mort.
Parler de l’œuvre photographique de Véronique Ellena n’est pas simple. Pour deux raisons, au moins. L’artiste se refuse à toute sophistication, à toute manière, dans la forme et dans le fond. L’image procède toujours d’une construction simple. Les plans sont frontaux, les cadrages équilibrés. Les lignes, horizontales ou verticales, dessinent l’image. Chaque photographie se donne à voir de manière franche. L’artiste ordonne. A cette économie du simple répondent des sujets ordinaires. Nulle effusion de sang, nulle violence. Pas de pleurs, pas de cris. Véronique Ellena ne traite pas du côté sombre des pulsions de l’homme, n’aime pas les « grandes machines », le pathétique tonitruant, l’exhibition spectaculaire. Elle préfère les temps de silence, les vides, les moments d’absence, l’entre-deux, l’interstice dans lequel tout peut aussi se dire. Elle photographie « ceux qui ont la foi », des scènes du quotidien, les « grands moments de la vie », des vues urbaines, des paysages enneigés, le ciel, la mer, des natures mortes : l’ordinaire qui scande le quotidien des hommes. Qu’est-ce à dire que ce cycliste méditatif ? Qu’est-ce à dire que ces deux adolescents sur un terrain de sport de lycée ? Qu’est-ce à dire que cette femme âgée entourée de ses petites filles ? Qu’est-ce à dire aujourd’hui que ces natures mortes – oiseaux, grenades, poissons, poulets, poulpes et poussins – réalisées à la Villa Médicis ? Les sujets paraissent simples et inoffensifs, voire naïfs. Pourtant les photographies jettent un trouble, poignent le spectateur, dérangent. Car chaque image creuse un abyme indicible, réveille quelque chose d’enfoui dans le tréfonds de la mémoire, quelque chose qui appartient à l’histoire de nos sens, sans qu’on sache précisément nommer ce « quelque chose » : peut-être une ancienne émotion. Non pas que le travail de Véronique Ellena ne se prête au discours, qu’il ne puisse se dire par les mots, mais il impose une honnêteté que demandent les sujets essentiels qu’il traite : la vie, la mort, l’amour, le désir, la blessure, la famille, la mémoire, l’histoire. La série des natures mortes, réalisée à Rome, est une nouvelle pierre dans cet œuvre de réflexion.
Mickael Szanto
Catalogue « Natures mortes », Villa Medici, 2008
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