Natures mortes, Richard Peduzzi, 2008
« A quoi sert la Villa Médicis? », me posaient récemment comme question des représentants de l’état qui étaient venus en visite officielle, pour se faire une idée, une opinion, comprendre le sens de l’Académie de France à Rome. Je tentais de leur expliquer avec toute ma conviction que cette Villa Médicis dont on parlait tant en ce moment était une des grandes institutions françaises en Italie représentante de l’art et de la culture dans le monde.
Nous avons poussé ce jour là la porte de l’atelier d’une pensionnaire, Véronique Ellena, résidente depuis un an à la Villa. Les murs étaient remplis de paysages, de portraits, de natures mortes plus belles, plus vivantes les unes que les autres. Nous étions soudain passés d’une discussion tendue, d’une avalanche de questions, marchant sous le soleil et la lumière aveuglante de ce jardin de la Villa Médicis à trois heures de l’après-midi, à une lumière douce, apaisante, soudain enveloppée de calme. J’oubliais mes compagnons, seul l’œil inquiet et le travail de Véronique m’importaient. Silencieux nous nous trouvions, les visiteurs et moi-même, tous confrontés à l’œuvre d’une grande artiste. Ce que je voyais, ce que je venais de découvrir rassemblé ici, ce que j’admirais, me faisait penser à la fameuse et tellement juste réponse du grand peintre Jean-Baptiste Chardin, à un admirateur curieux qui lui demandait « Maitre, avec quelles couleurs vous peignez ? ». Chardin le regarda, prit sa respiration et lui répondit « Monsieur, je ne peins pas avec des couleurs mais avec des sentiments ».
Les murs de l’atelier de Véronique étaient inondés de sentiments. Oublions la technique, la grande technique de l’artiste elle est là, présente, mais elle ne se montre pas, elle n’existe plus. Les appareils, les pellicules, les outils n’existent plus. Sur les photographies transparait seul le mystère de la vie transposé par le regard et l’intelligence. Véronique donne sa vie à son œil et à son cœur, passe ses nuits et ses jours à ausculter le monde, à le regarder, à refaire vivre toute chose, à refuser la mort, à l’effacer, à redonner aux minutes et aux secondes l’épaisseur des siècles. L’eau et la poussière lui servent de filtres. Dans son œuvre tout se tient, tout se rejoint. L’infiniment petit se déguise en infiniment grand, l’humidité et la sécheresse inventent un étrange pays tourné vers un soleil que l’on ne connait pas, une sorte de boule d’espérance enfouie au fond de nous-mêmes. Toute la force, la flamme des photographies, de l’art de Véronique sont dans cet effacement visible, dans ce compte rendu imperturbable des jours. Sa vie est un carnet de voyage autour de la vie. Elle possède en elle le secret de faire renaitre ce qui semble prêt à être englouti.
Richard Peduzzi
Rome, le 23 septembre 2008
Catalogue « Natures mortes », Villa Medici, 2008
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